L’étrangeté et les étrangers

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L’étrangeté et les étrangers

Imam Ibn ul Qayyim al Jawziyyah

(L’article suivant est basé sur une brochure rédigée par ibn Qayyim al-Jawziyyah intitulée al-Ghourbathou wa al-Ghouraba, que nous pouvons traduire à peu près de la façon suivante : « L’étrangeté et les étrangers ». Quelques modifications et ajouts ont été apportés.)

« L’islam a commencé comme quelque chose d’étrange et il redeviendra quelque chose d’étrange, alors annoncez la bonne nouvelle aux étrangers. »

La signification de « l’étrangeté »

Il arrive souvent, dans plusieurs situations, que les gens qui suivent la religion d’Allah aient l’impression de ne pas être à leur place, de ne pas être en harmonie avec leur environnement ou, en d’autres termes, de paraître étranges aux yeux de ceux qui les entourent. Ce sentiment peut survenir dans une réunion de non-musulmans, mais malheureusement, il arrive parfois que ce sentiment survienne aussi lorsqu’un musulman se retrouve avec ses coreligionnaires. Il voit ses frères et soeurs faire des choses qui sont contraires à l’islam ou prendre part à des innovations qui frisent parfois l’incroyance (apostasie), mais il sent qu’il n’a pas assez d’autorité ou de courage pour les empêcher de commettre ces actes. Certains frères et certaines soeurs, surtout s’ils ou elles n’ont pas assez de taqwa ou de connaissances islamiques, cèdent parfois sous la pression de leurs pairs et se joignent à eux, tout en sachant très bien que ce n’est pas ce qu’Allah attend d’eux. Comme il leur semble que personne ne partage leurs idées et qu’on ne les encourage pas à faire le bien, ils se sentent impuissants et finissent par succomber à de telles pressions.

Ces frères et soeurs (qu’Allah soit miséricordieux avec eux) devraient trouver consolation dans les versets du Coran et dans plusieurs déclarations du Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) qui décrivent exactement ce sentiment d’étrangeté qu’ils ressentent.

 

Pourquoi ont-ils été nommés « étrangers » ?

Allah dit, dans le Coran : « Si seulement il avait existé, dans les générations d’avant vous, des gens vertueux qui interdisent la corruption sur terre ! Il n’y en avait qu’un petit nombre, que Nous sauvâmes. » (Sourate Hud (11), verset 116).

Ce verset parle d’un petit nombre de gens, les « étrangers », qui interdisent le mal sur terre. Ce sont les mêmes personnes auxquelles le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) faisait référence lorsqu’il a dit : « L’islam a commencé comme quelque chose d’étrange et il redeviendra quelque chose d’étrange, alors annoncez la bonne nouvelle [en arabe, touba, qui est le nom d’un arbre du Paradis. Donc le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) donne la bonne nouvelle du Paradis à ces étrangers] aux étrangers. » On lui demanda : « Qui sont ces étrangers, ô Messager d’Allah ? ». Il répondit : « Ceux qui corrigent les gens lorsqu’ils deviennent corrompus. ». (Rapporté par Abou Amr al-Dani, à partir du hadith de ibn Masoud. Selon al-Albani, le hadith est authentique. Dans une autre narration, il a dit : « Ceux qui corrigent ma sounnah après qu’elle ait été corrompue par les gens qui sont venus après moi. ») Et dans une autre narration, il a dit, en réponse à la même question : « Ils sont un petit groupe de gens qui vivent parmi une population majoritairement corrompue. Ceux qui s’opposent à eux sont plus nombreux que ceux qui les suivent. ». (Rapporté par ibn Asakir. Authentique selon al-Albani.)

Ces gens louables sont appelés étrangers parce qu’ils constituent une petite minorité parmi les hommes. Donc, les musulmans sont des étrangers parmi les hommes ; les véritables croyants sont des étrangers parmi les musulmans ; et les érudits musulmans sont des étrangers parmi les véritables croyants. Et ceux qui suivent la sounnah, qui ne font pas partie de ceux qui innovent en matière de religion, sont également des étrangers.

En réalité, cependant, leur étrangeté n’est due qu’au fait qu’ils sont une minorité, car leurs actions et leurs croyances ne sont pas étranges. C’est ce qu’Allah dit dans la sourate al-An’am : « Et si tu obéis à la majorité de ceux qui sont sur la terre, ils t’égareront du sentier d’Allah » (6:116). Allah dit aussi : « Et la plupart des gens ne sont pas croyants, malgré le fait que tu (Prophète Mohammed) le désires ardemment . » (Youssouf (12), verset 103) ; « Et la majorité des hommes sont certes rebelles et désobéissants envers Allah. » (Al-Ma’idah (5), verset 49) ; « Mais la plupart des gens ne sont pas reconnaissants. » (Youssouf (12), verset 38). Allah, le Créateur parfaitement connaisseur, sait donc que la majorité des hommes rejetteront la vérité. Seul un petit groupe de gens, qui Lui sont fidèles et qui croient vraiment en Lui, se distinguera : ce sont les étrangers parmi les hommes.

Cependant, les étrangers au niveau de la croyance et les étrangers au niveau du caractère et des actions constituent en réalité la majorité des hommes, car ils sont étrangers à l’islam et aux lois qu’Allah a révélées. Ainsi, nous constatons qu’il y a différents types d’étrangeté ; certains sont louables, certains sont blâmables et d’autres ne sont ni louables ni blâmables. Nous discuterons séparément, ci-dessous, de ces différentes catégories.

Les différents types d’étrangeté

Cher lecteur (qu’Allah soit miséricordieux avec toi), sache qu’il y a trois types d’étrangeté :

Le premier type d’étrangeté est l’étrangeté du peuple d’Allah et de Son Messager (sallalahu ‘alaihi wa sallam), que nous avons mentionné précédemment. Cette étrangeté est louable, car elle a été louée par Allah et par Son Messager (sallalahu ‘alaihi wa sallam). Ainsi, ce genre d’étrangeté doit être recherché et ceux qui font partie de cette catégorie doivent être appuyés. Cette étrangeté peut se produire à différents moments, à différents endroits et parmi différentes personnes. Ces étrangers constituent le vrai peuple d’Allah, car ils n’adorent personne ni rien à part Lui, ils ne trouvent de soutien dans aucune autre voie que celle du Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam), et n’invitent à aucun autre message qu’à celui transmis par le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam). Voilà les gens qui ont abandonné les hommes lorsqu’ils (les étrangers) avaient le plus besoin d’eux. Au Jour du Jugement, lorsque chaque groupe de personnes ira vers ceux qu’il adorait sur terre, ces gens resteront à leur place et il leur sera dit : « N’allez-vous pas rejoindre un groupe comme les autres l’ont fait ? ». Ils répondront : « Nous avons abandonné les hommes lorsque nous étions sur terre et nous avions plus besoin d’eux à ce moment-là qu’aujourd’hui ; nous attendrons donc notre Seigneur que nous avions l’habitude d’adorer. ». [Recueilli par Boukhari et Mouslim]

Ainsi, il est évident que cette étrangeté ne cause aucun mécontentement à celui ou celle qui la subit. C’est plutôt une étrangeté réconfortante, une consolation pour le croyant, parce qu’il sait que ses alliés sont Allah, Son Messager et les croyants [ cela fait référence au verset 55 de la sourate al-Ma’idah (5) ], même si tous les hommes l’ont abandonné. Ces étrangers sont décrits dans un hadith rapporté par Anas ibn Malik, dans lequel le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) a dit : « Il est possible qu’Allah réponde à la prière d’une personne débraillée, couverte de poussière, indigente (litt., « ne possédant que deux keffiehs » ) que personne ne remarque. » (recueilli par at-Tirmidhi et al-Hakim. Selon Al-Albani, ce hadith est authentique.) Al-Hasan al-Basri (un fidèle de la deuxième génération (tabi’), très connu pour sa piété, son ascétisme et son savoir) a dit : « Un croyant est un étranger dans ce monde ; il ne craint jamais l’humiliation et ne concurrence jamais pour la gloire d’ici-bas. Ses préoccupations sont différentes de celles de la majorité des gens. Les gens ont une bonne opinion de lui, alors qu’il est tourmenté [litt. « fatigué »] intérieurement. »

Parmi les caractéristiques de ces étrangers que le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) a décrits, est le fait qu’ils se raccrochent à la sounnah du Messager (sallalahu ‘alaihi wa sallam) même si les gens abandonnent cette sounnah. Les étrangers rejettent toutes les innovations que leur peuple invente, même si ces innovations sont de pratique courante parmi eux. Ils sont également fidèles au tawhid, même si les gens le corrompent avec le shirk. Ils ne s’identifient à rien sauf à Allah et à Son Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) ; c’est-à-dire qu’ils ne s’identifient pas à un sheikh, à une tariqah (confrérie religieuse ou mystique ) , à une madhab ( école juridique) particulière ou à un groupe quelconque de personnes. Ils ne sont dévoués qu’à Allah (et ils n’adorent sincèrement que Lui et Lui seul), et à Son Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam), en suivant le chemin qu’il a suivi. Ceux-là sont les gens qui saisissent avec leur main du charbon ardent [cela fait référence au hadith qui suivra, plus loin dans ce texte], même si la majorité des hommes – ou plutôt tous les hommes – le leur reprochent. Voilà, donc, la signification des déclarations du Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam), lorsqu’il fait allusion au fait qu’ils sont fidèles à la sounnah même si les gens la corrompent.

Allah (soubhana wa ta’ala) a envoyé Son Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) au moment où les hommes suivaient différentes religions ; certains adoraient les rivières et les arbres, d’autres adoraient des idoles, et il y avait des chrétiens, des juifs et des zoroastriens. Lorsque l’islam apparut parmi ces gens, ils le trouvèrent étrange. Si quelqu’un parmi eux embrassait l’islam et répondait à l’invitation d’Allah et de Son Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam), il était ostracisé par sa famille et sa tribu et il était condamné à vivre en étranger parmi son peuple. Par la suite, cependant, l’islam se répandit partout. Les musulmans devinrent de plus en plus puissants, et ce à tel point que ceux qui n’avaient pas accepté les enseignements du Prophète Mohammed (sallalahu ‘alaihi wa sallam) devinrent à leur tour des étrangers.

Mais, hélas, Satan trompa les hommes encore une fois. Les gens reprirent les habitudes que leurs ancêtres, qui avaient embrassé l’islam, avaient abandonnées, jusqu’à ce que finalement, l’islam redevienne étrange à nouveau, comme il avait commencé, ainsi que le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) l’avait prédit. En réalité, cependant, le véritable islam, celui que le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) et ses compagnons pratiquaient [cela fait référence à la réponse que le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) a donnée quand on lui a demandé quelles étaient les caractéristiques du groupe qui sera épargné] est devenu encore plus étrange aux yeux des gens qu’il ne l’était lorsqu’il est apparu au départ et ce, même si ses vestiges sont répandus et bien connus. [C’est ce qu’écrivait ibn al-Qayyim au 8e siècle de l’ère musulmane (hijrah). Imaginez notre situation six siècles après lui. Qu’Allah nous protège.].

Comment pourrait-il en être autrement alors que ces étrangers ne sont qu’un groupe parmi soixante-douze autres [le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) a dit, dans un hadith authentique, que la oummah musulmane se diviserait en soixante-treize groupes et que tous iraient en enfer sauf un, qui sera épargné.] qui ne suivent que leurs propres désirs et prennent leurs passions pour des dieux ? Ceux-là sont les groupes dont les enseignements sont basés sur des doutes et des innovations et dont l’unique but est la satisfaction de leurs propres désirs. Par conséquent, le groupe dont le but est de réussir à plaire à Allah en suivant le chemin de Son Messager (sallalahu ‘alaihi wa sallam) sera le groupe perçu comme étrange par tous les autres groupes.

C’est pourquoi les vrais musulmans – ceux qui se raccrochent fermement à la sounnah – recevront la récompense de cinquante Compagnons. Lorsqu’on questionna le Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam) au sujet du verset suivant : « ش les croyants ! Vous êtes responsables de vous-mêmes. Celui qui s’égare ne vous nuira point si vous, vous avez pris la bonne voie. » (al-Ma’idah (5), verset 105), il répondit : « Encouragez le bien et interdisez le blâmable jusqu’à ce que vous voyiez que l’avarice est loi, que les désirs sont assouvis, que ce bas-monde est préféré à l’au-delà et que chacun est infatué de son opinion. ? ce moment-là, occupez-vous de vous-mêmes et fuyez le public. Des jours pénibles viendront après vous ; vivre à cette époque nécessitera, pour les musulmans, une patience équivalente à celle qu’il faut pour tenir du charbon ardent dans la main. Quiconque, à ce moment-là, sera capable d’avoir cette patience recevra la récompense de cinquante personnes. » On lui demanda : « ش Messager d’Allah, la récompense de cinquante d’entre eux ? ». Il répondit : « La récompense de cinquante d’entre vous. ». [Recueilli par at-Tirmidhi et Abou Daoud avec une chaîne de narration faible, mais avec des preuves à l’appui. Selon Al-Albani, le hadith est sahih. Voir al-Sahiha, #957]. Et cette récompense est due à son statut d’étranger parmi les gens.

Donc si le croyant à qui Allah a accordé de la sagesse et du savoir veut suivre ce sentier, le sentier d’Allah, alors qu’il se prépare et se résigne à vivre comme un étranger parmi son peuple, de la même façon que ses prédecesseurs, qui embrassèrent l’islam, furent traités par les gens. En effet, il sera perçu comme un étranger au niveau de ses croyances parce que les gens ont des croyances corrompues. Il sera perçu comme un étranger au niveau de sa religion à cause de ce à quoi les gens l’ont réduite. Il sera perçu comme un étranger dans sa façon de prier parce que les gens sont ignorants de la façon de prier du Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam). Il sera perçu comme un étranger lorsqu’il enjoindra le bien et interdira le mal, car les gens ont adopté le mal en croyant faire le bien et ils ont abandonné le bien en croyant que c’était le mal. En bref, donc, il sera perçu comme un étranger pour tout ce qui touche à sa vie d’ici-bas et à celle de l’au-delà, invitant au sentier d’Allah et résistant au tort que lui causeront tous ceux qui seront contre lui.

Pour ce qui est du deuxième type d’étrangeté, sache, cher lecteur, qu’elle est blâmable, car elle concerne les pécheurs, les ignorants et les arrogants parmi les hommes. Leur étrangeté est due à leur refus de suivre le bon et droit sentier d’Allah. Cette étrangeté est celle qui résulte du fait de ne pas se conformer à l’islam et ce comportement demeurera toujours étrange même s’il est adopté par un grand nombre de gens, même s’il est prédominant et répandu. Ce sont ceux-là les véritables étrangers aux yeux d’Allah. Qu’Allah nous garde de devenir l’un d’eux.

Le troisième type d’étrangeté est, par essence, ni louable ni blâmable. C’est le sentiment d’étrangeté qu’expérimente un voyageur lorsqu’il visite un pays étranger, comme une personne qui séjourne à un endroit pour une courte période de temps en sachant qu’elle repartira. Un des aspects de cette étrangeté est que chacun d’entre nous, qu’il le réalise ou non, est un étranger dans ce monde, car nous irons tous un jour dans notre demeure permanente de l’au-delà. Telle est la signification du hadith du Prophète (sallalahu ‘alaihi wa sallam), lorsqu’il dit à Abdoullah ibn Omar « Vis dans ce monde comme si tu étais un étranger ou un voyageur. ». Ainsi, cette catégorie d’étrangeté pourrait potentiellement devenir louable si nous prenons en considération la signification de cette déclaration du Messager d’Allah (sallalahu ‘alaihi wa sallam).

Nous prions Allah pour qu’Il fasse de nous des musulmans éclairés et pieux, et pour qu’Il nous pardonne nos péchés