Le véritable ascétisme

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Le véritable ascétisme


Ibn Al-Jawzî


J’ai constaté qu’une des plus grandes ruses de Satan, et un de ses stratagèmes les plus habiles consistait à entourer les gens riches en leur donnant des espérances et en les occupant aux plaisirs qui éloignent de l’au-delà et des œuvres qui permettent de le gagner. Lorsqu’il les attache à l’argent, en les poussant à en amasser et les encourageant à en obtenir, il leur insuffle de le protéger par avarice. C’est là une de ses ruses les plus fortes, et un de ses stratagèmes les plus puissants. Puis, par une ruse subtile, il fait craindre aux croyants de gagner de l’argent, et ainsi celui qui aspire à l’au-delà le fuira et celui qui veut se repentir s’empressera de se défaire de ce qu’il possède. Satan ne cesse de l’encourager à l’ascétisme, à lui commander le dépouille­ment, et lui faire craindre les voies du gain en prétextant lui être de bon conseil et préserver sa religion. Les subtilités de la chose montrent ses stratagèmes étonnants.


Parfois, Satan emprunte la voix d’un des maîtres que le repentant suit, et il lui dira : « Abandonne tes biens, et rejoins le groupe des ascètes ! Tant que tu auras de quoi manger à midi et le soir, tu n’en feras pas partie et tu n’atteindras pas les degrés de la détermination. » Il peut lui donner des hadiths qui sont loin d’être authentiques et qui ont été rapportés pour une cause déterminée et une intention précise. Lorsqu’il abandonne ce qu’il possède et ses sources de revenus, il se retrouve à convoiter le moindre don de ses frères, ou Satan lui fait apprécier la compagnie des gouverneurs, car il ne peut supporter la voie de l’ascétisme et du dépouillement que quelques jours, puis sa nature refait surface et condamne ses aspirations. Il tombe alors dans un état pire encore que celui qu’il a voulu fuir, et il sacrifie sa principale marchandise, sa religion et son honneur, devient une véritable chiffe et se met dans la situation de celui qui tend la main [1].
S’il avait médité l’exemple des hommes, des nobles parmi eux, s’il avait médité les hadiths authentiques transmis par leurs pontes, il aurait su que Al-Khalîl (l’ami privilégié d’Allah, Ibrâhîm) était très riche, si riche que ses troupeaux emplissaient la ville. C’était le cas de Lût, de nombreux prophètes et de la plupart des Compagnons. Ils ont uniquement patienté quand ils n’avaient rien et ne se sont pas interdit de gagner ce qui leur était utile, ni de prendre ce qui était licite quand cela se présentait. Ainsi Abû Bakr voyageait pour faire du commerce du vivant du Messager (salallahu ‘alayhi wasalam). La plupart d’entre eux cédaient au Trésor Public (Bayt Al-Mâl) le surplus de leurs ressources et ne subissaient pas l’humi­liation de demander à leurs frères. Ainsi, Ibn ‘Umar ne refusait rien et ne demandait rien [2].
J’ai constaté que la plupart des gens de religion et de science se trouvent dans cette situation : la science les a empêchés de trouver des revenus à leurs débuts, mais lorsqu’ils ont eu ensuite besoin d’assurer leur subsistance, ils se sont humiliés alors qu’ils étaient les plus dignes de considération.
Autrefois, le Trésor Public leur aurait assigné un revenu garanti par l’excédent des gains de leurs frères. Mais, comme de nos jours, on ne donne plus rien au Trésor Public, l’homme pieux ne peut rien obtenir sans sacrifier une partie de sa religion. Et encore, s’il y parvient, car il peut ruiner sa foi sans avoir rien obtenu. L’homme raisonnable doit donc préserver ce qu’il possède et s’appliquer à gagner ce qu’il peut afin de ne pas avoir à faire de simagrées devant le tyran, et ne pas flatter l’ignorant. Il ne doit pas faire cas des sornettes de ces mystiques qui attribuent des mérites à la pauvreté, car elle n’est, en fait, que maladie d’impuissance et celui qui l’endure a la même rétribution que celui qui endure la maladie, sauf s’il s’agit d’un lâche qui recule devant l’action et se contente du minimum vital. Cela n’est pas le rang des braves mais celui des ascètes lâches. Quant à celui qui cherche des revenus afin d’être celui qui donne et non celui qui reçoit, celui qui fait l’aumône et non celui à qui on la fait, c’est là le rang des courageux et nobles. Quiconque médite cela, verra la dignité de la richesse et le danger que fait courir la pauvreté.
[1] il sera contraint de répondre aux aspirations du gouverneur en lui donnant des fatwas et lui accordant des permissions, ainsi il devient un moyen de souiller ses œuvres tout en leur donnant l’habit de la Législation, à la manière du chiffon avec lequel on essuie ses mains et les saletés ; et il perçoit pour cela de l’argent, et ainsi se met dans la situation de celui qui tend la main.
[2] C’était également le comportement de son père qui rapporte : « Le Prophète (salallahu ‘alayhi wasalam) me faisait des dons et je lui disais : Donne cela à quelqu’un qui en a plus besoin que moi. Une fois, il me donna de l’argent et je lui dis : Donne cela à quelqu’un qui en a plus besoin que moi. Il me répondit : « Prends-le, et ce qu’on te donne comme biens dont tu n’es pas responsable et que tu ne demandes pas, prends-les, et ce qui est autre, ne le recherche pas. » » Al-Bukhârî (7163) et Muslim (1045).
Source : Les Pensées Précieuses