SAHIFAH IBN MUNABBIH

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SAHIFAH

HAMMAM IBN MUNABBIH

Par

Muhammad Hamidullah

Traduit par:Hossein G. Tocheport

BISMILLAH!

PREFACE

Il n'est pas besoin d'insister sur la haute importance de 1'histoire de la rédaction et de la conservation du Hadith.

Le présent ouvrage non seulement met en lumière le texte du plus ancien recueil qui nous soit parvenu à ce sujet – œuvre d'un très proche compagnon du Saint Prophète Y- mais encore rassemble les données jusqu'ici dispersées qui permettent la mise en lumière des efforts des premiers musulmans pour codifier et transmettre à la postérité les précieuses traditions de leur Prophète. Incidemment il dissipe maints malentendus dûs aux écrits des tout premiers chercheurs occidentaux qui n'avaient pu avoir connaissance d'ouvrages qui ont été découverts plus récemment.

Paris, Rajab 1379 H.

Muhammad Hamidullah .

BISMILLAH!

PREFACE
A L'EDITION FRANCAISE.

C'est la version française révisée et augmentée d'un travail déjà ancien, mais elle constitue une nouvelle pièce dans le dossier de 1'histoire de la codification et la transmission du Hadith du Prophète de 1'Islam.

En effet, quand j'étais étudiant à 1'Université de Bonn et passais une partie de vacances de Pâques 1933 (Dhu'l-Hijjah 1351 H.) à Berlin, j'ai trouvé à la Staatsbibliothek (Unter den Linden), Berlin, sous le N° 1384 We 1797, sur les folios 54 à 61 un manuscrit important mais malheureusement incomplet, celui de la Sahifah de Hammam ibn Munabbih.

Ce ne fut que vingt ans après pendant lesquels bien des choses bouleversantes eurent lieu, y compris le fait que je dus m'installer à Paris quand j'assistai au Congrès international des Orientalistes d'Istanbul, en 1951, que j'eus la joie d'apprendre par feu le Prof. Zubait Siddiqi de Calcutta qu'un deuxième manuscrit du même ouvrage existait à la bibliothèque Zahiriyah de Damas, N° également dans un recueil de plusieurs opuscules. Comme par hasard Mr Salahuddin Munajjed de Damas séjournait alors à Paris, comme étudiant à la Sorbonne, il eut 1'extrême amabilité d'écrire à son frère et de me procurer les photos de ce MS. Mon monographe, rédigé en arabe, put alors paraître dans la RAAD, 1953, XXVIII, 96-116, 270-281, 443-467, 665-666. L'académie m'honora en le publiant sous forme d'un livre aussi.

Profitant de la traduction ourdou par mon frère Muhammad Habibullah en 1955 à Hyderabad-Deccan, j'y ai ajouté maints nouveaux renseignements; il y eut des additions en mon insu, de la part de 1'éditeur, que j'ai demandé de supprimer dans la seconde édition ourdou, en 1956. Cette fois aussi on y ajouta certains renseignements sans m'en informer préalablement.

Bientôt après, en 1961, un de mes anciens professeurs de l'Osmania University, Mr M. Rahimuddin m'honora en le traduisant de l'ourdou en anglais, et je pus ajouter de nombreux nouveaux matériels sur le sujet.

Après quinze ans j'y reviens à propos de la présente édition, la première en français, due au Dr Hossein G. Tocheport d'Aumont(Oise), près Paris. Revu dans le détail le texte a été enrichi et mis à jour compte tenu de manuscrits découverts récemment. En outre, les références bibliographiques ont été complétées.

Paris le 4 Ramadan 1398 (8 août 1978)

B I S M I L L A H!

introduction

COMPILATION ET PRESERVATION DES TRADITIONS DU SAINT PROPHETE.

L'lNSTRUCTION AUX PREMIERS TEMPS DE L'lSLAM

Remarques préliminaires

§ 1. Allah a envoyé des prophètes, les uns après les autres, porteurs de Son message. Mais d'âge en âge, l'obstination des esprits, les tendances fratricides forcenées, se sont manifestées sans relâche. D'âge en âge l'homme a tourné le dos aux enseignements divins révélés aux prophètes et s'est efforcé même de les annihiler. Si l'on peut estimer trop lointains les Livres d'Adam, de Seth, d'Enoch et de Noé, un livre, même tardif, comme celui d'Abraham, expressément mentionné dans le Saint Coran (sourate 87, verset 19 et aussi S.53,v.37) a suivi le même chemin que ses prédécesseurs et a disparu. Le même esprit de subversion a fait que l'homme (1) a profané la Sainte Thora (2) de Moi'se et a détruit la totalité de ses manuscrits. Des parties de celle-ci ont été, plus tard, reconstituées de mémoire mais quelque temps après, elles ont subi de nouveau le même sort(3). Aujourd'hui, la Thora existante résulte d'une troisième tentative de restauration d'anciens mémoires (4).

(1) cf. L'attaque des Babyloniens sous Nabuchodonosor (ou Nabukhodorezzad, des inscriptions)

(2) Les cinq premiers livres de la Bible appelés Pentateuque par les chrétiens.

(3) Attaques par les Romains sous Antioche

(4) Encyclopaedia Britannica ou autres ouvrages similaires au mot Bible.

Et nous ne la connaissons qu'avec ses nombreuses lacunes et ses difficultés internes diverses. A des périodes plus tardives, tout ce que les docteurs juifs ont écrit sous les titres de Talmud, Michna et Haggadah a été à tel point truffé de règles dures et de restrictions contraignantes que, même les plus zélés et les plus pieux ont eu du mal à les mettre soigneusement en pratique. Aussi, la grande compassion d'Allah se manifesta à nouveau et Lui, dans Sa Miséricorde sans mesure, envoya le prophète Jésus-Christ, porteur d'un message d'amour et de clémence; mais 1'homme dans 1'ignommie de son esprit, n'a pas voulu laisser cet apôtre d'Allah prêcher en paix, ne serait-ce que 1'espace de trois ou quatre années. Pour accomplir sa mission, le Prophète Jésus fut dans la nécessité continuelle de se cacher et d'oeuvrer seulement dans la clandestinité; la grossièreté des gens qui l'entouraient rendit sa tache si difficile qu'il n'eut ni l'occasion de dicter son Evangile ni la possibilité d'assurer le recueil et l'enregistrement par ses disciples du contenu doctrinal de sa foi. Longtemps après qu'il fut élevé de ce monde ses disciples et les disciples de ses disciples mirent par écrit sons le nom d'évangiles leurs souvenirs concernant sa vie et son enseignement, mais des différences importantes apparurent entre les uns et les autres et ces contradictions désorientèrent les croyants. Chaque jour le nombre de ces Evangiles s'accroissait(5) et les différences textuelles engendraient des disputes au point qu'il fallut trouver un moyen pour sortir de ce chaos. D'une manière ou d'une autre on en sélectionna quatre(6). Ces quatre Evangiles faisant autorité ressemblent plutôt aux ouvrages de la Sira (ou biographies du Saint Prophète de l'Islam) qu'à un livre divinement révélé au fondateur de religion comme la Thora ou le Coran. En d'autres termes, les compagnons de Jésus et leurs successeurs firent le recueil des souvenirs de la vie de leur prophète, les paroles de ce dernier étant seulement incorporées ça et là. Nous n'avons pas l'intention ici de juger de leur valeur. Soit dit en passant, dans la communauté chrétienne, ce qui prévaut, ce n'est pas la parole de Jésus telle qu'elle figure dans l'Evangile mais la décision de l'Eglise.

(5) On en connaît plus d'une soixantaine, tous portant le même nom: «Evangile»

(6) Pour ce qui concerne les incertitudes de l'histoire de la codification et de la conservation des évangiles, consulter notamment l'Encyclopaedia Britanicas, v. Bible, New Testament.

§ 2 Ce fut dans de telles circonstances, qu'une fois encore un peuple dut être divinement choisi pour assurer la préservation, la conservation et la diffusion de la Parole d'Allah authentique. Le peuple ainsi choisi fut le peuple arabe et ce furent les Arabes qui, au début, se chargèrent de prêcher l'Islam. Ces Arabes étaient des hommes de tempérament et de qualité uniques dans l'histoire des races ainsi que nous allons maintenant l'examiner.

Les Arabes illettrés

§ 3 Divers groupes de la race sémite habitaient le désert constituant le sous-continent d'Arabie. A 1'exception de ceux vivant dans les régions côtières, ces peuples avaient surtout des habitudes nomades. La cause primordiale de l'état primitif de leur culture était la rareté de l'eau. A une époque ou la base du commerce intercontinental était seulement le troc des marchandises et alors que l'Arabie n'avait ni ressources agricoles ni d'autres sources de richesses naturelles, le développement culturel ne fut évidemment que lent.

§ 4 Pour ce qui concerne le savoir, on avait tout d'abord besoin d'un alphabet pour l'enregistrer et le conserver. Sous ce rapport, laissant de coté les voyelles brèves qui ne sont pas «écrites», leur langue comptait 28 sons ou consonnes dans le dialecte parlé à la Mecque (l'archeologie a permis d'établir qu'il existait différentes écritures dans diverses parties de 1'Arabie mais grâce à l'Islam, c'est l'alphabet mecquois qui a prévalu).

Selon des historiens arabes, c'est peu avant l'Islam que quelques gens de Hirah (maintenant Koufah) introduisirent le «secret» ou le «luxe» de l'ecriture à la Mecque(7).

On a dit que des relations par manages ont contribué à cela. Mais quoiqu'il en soit, avant l'avenement de l'Islam, cette écriture arabe en était encore à un stade extrêmement grossier. Outre d'autres défauts, cette écriture n'avait ni les voyelles brèves - qu'on distingue maintenant par des signes diacritiques, i'rab - ni même une forme indépendante pour chacune des lettres de 1'alphabet : il semble que pour ses 28 lettres il n'y ait eu que 15 signes graphiques. Il n'existait aucune différence entre les groupes de lettres ci-après, en particulier pour ce qui concerne leurs formes minuscules:

(cela s'explique en partie du fait que la langue arabe avait plus de sons que 1'ancienne langue de Hirah mais cette question ne nous retiendra pas ici).

§ 5 Dans ces circonstances la lecture était un acte accompli au hasard ou un travail de devinette et la richesse du vocabulaire était cause de beaucoup de tracas eu égard au déchiffrage. Si l'on prenait un mot trilitère dont chaque lettre provient du premier groupe il y a théoriquement 125 graphies possibles si les lettres ne portent pas de points diacritiques, mais comme la dernière lettre du mot ne peut être que de trois formes spécifiques ; il reste quand même 75 possibilités dont chacune peut être vocalisée d'au moins 87 façons) par les signes, malgré les restrictions de 1'emploi de certains de ces signes de vocalisation, (75x87 = 6525).
(7) Baladhuri, Futuh al-Buldah p. 471-472; Ibn Abi Dawud, kitab alMasahif, p. 4-5
Certes toutes n'existent pas dans le dictionnaire, mais plusieurs sautent immédiatement à 1'esprit :

baitun (maison), baitin (d'une maison),

baiyata (il a lancé 1'attaque de nuit),

bidyita (il a subi 1'attaque de nuit),
tabbat (ont péri)
batthat (elle a dispersé)
bintun (une fille) bintin (d'une fille)

banat (elle a construit;. bannat (elle est restée dans un lieu)
thabitun (un document) thabitin (d'un document)

thabata (il se fixa), thabata (il fixa) etc.
nabtun (une plante), nabtin (d'une plante),

nabata (il poussa)

nubita (il fut extrait), nabbata (il planta),

nubbita (il fut planté), nubat (elle s'éloigna).

Même dans le mot (ou au lieu de 75, il y a seulement 10 graphies possibles même les débutants connaissent fil (éléphant) fatl (tresser la corde), quabl (avant) qubal (1'organe génital), qabbala (il a embrassé) qatl (meurtre) avec ses dérivations, des verbes actifs et passifs, transitifs et intransitifs. Sans vocalisation par les points diacritiques et signes diacritiques, le lecteur reste perplexe car des fois plus d'un sens est possible dans le contexte.

Une autre curiosité est signalée par al-Qalqachandi:

il s'agit d'un mot ou 5 consonnes se suivent: ma ra'aina kukakan kakukakika cela signihe : nous n'avons pas vu de bateaux comme tes bateaux. (kukka, bateau, kukak au pluriel).

§ 6 Il y avait aussi d'autres obstacles au développement de la langue. La vie nomade avec son instabilité traditionnelle, ses pérégrinations continuelles et les difficultés rencontrées dans la recherche des moyens de subsistance ne laissait guerre de temps à consacrer à 1'etude des lettres; et même, s'il y avait eu une tendance à apprendre, il n'existait pas de littérature digne de ce nom à laquelle les gens eussent pu s'adonner (à 1'exception des poèmes de transmission orale). Le fait est qu'on ne sentait pas la nécessite d'une telle entreprise. Même dans une grande ville comme la –Mecque ou le commerce était florissant et ou les commerçants avaient besoin de consigner par écrit ce qui concernait leurs transactions a crédit, il n'y avait pas plus de quinze ou vingt personnes sachant lire et écrire(8). Ce qui suit va illustrer la situation en Arabie en général: